Pour la définir, nous puisons d’abord à la source lewinienne de l’Action Research, termes utilisés par Kurt Lewin (1951). Cette appellation réfère à l’idée du développement des sciences humaines et sociales par et dans l’action. Et cela se fonde sur l’inter- action réciproque entre chercheurs, praticiens et diverses populations participantes impliqués dans une pratique sociale de changement. Enfin, la recherche-action est une démarche éducative, ou, en termes lewiniens, normative-rééducative » (p. 532).
Contexte sociohistorique d’émergence
Le rapport entre recherche et action est fondamental pour Lewin et ses collaborateurs des années 1940 et 1950 aux États-Unis. Il y a une correspondance profonde entre le processus de recherche de type expérimental, une figure dominante dans la recherche psychologique, et l’action sociale planifiée, vue sous l’angle d’un processus de résolution de problème. Situation de vie en déséquilibre, dysfonctionnelle ou souffrante, analyse diagnostique, objectifs et plan d’action, réalisation et
évaluation du changement produit : les phases de ce processus sont perçues comme semblables dans la recherche, allant du questionnement à l’enquête, aux hypothèses explicatives, à l’expérimentation, à l’examen des résultats et à la confirmation ou non des hypothèses. La philosophie pragmatique d’un John Dewey en particulier ou d’un Charles Sanders Peirce va fortement étayer une telle épistémologie.
Les premiers travaux lewiniens vont ainsi transporter le laboratoire artificiel de l’expérimentation académique à l’expérimentation en milieu concret, avec les gens impliqués dans leur vie quotidienne. L’initiative des chercheurs demeure prépondérante dans ce contexte, s’appuyant sur des schèmes théoriques imposants et suivant en quelque sorte la méthode expérimentale, par groupes de comparaison. L’exemple de la fameuse étude sur les habitudes alimentaires en temps de guerre (1939-1945) est éloquent : il s’agissait de réunir des ménagères pour les amener, suivant le mode d’influence en groupe restreint le plus efficace, à consommer des abats d’animaux, afin d’économiser en contexte de rationnement sur la viande ; ou cette autre étude fondée sur des interventions en usine visant à faire accepter des changements technologiques en confrontant diverses méthodes d’animation de groupe. De cela découleront les avantages nets, mesurés rigoureusement, du “leadership démocratique” comme forme d’influence supérieure à l’exposé d’un expert ou au laisser-faire dans le groupe. Expérimentée en groupe restreint, va s’affirmer progressivement l’orientation plus générale, pour l’action sociale, que la participation active de tous, l’échange et le débat, la collaboration l’emportent sur l’autoritarisme de l’expert et le laisser-faire.
Une seconde étape est marquée par l’innovation du groupe de formation (T-Group ou Training group), qui introduit un nouvel équilibre au cœur de la recherche-action de type expérimental. Les participants sont appelés à contribuer directe- ment à l’analyse des situations étudiées, au même titre que les chercheurs, confrontant hypothèses et observations. La participation des non-chercheurs dépasse la seule expression de l’expérience vécue et devient activité réflexive et production de savoirs valorisés. Cela deviendra progressivement une orientation décisive de la recherche-action qualifiée alors de participa- tive, avec visée de co-production des savoirs. Présente dans les groupes de formation, elle se retrouve dans divers dispositifs du développement organisationnel et du développement dit communautaire (ou associatif).
Les débuts lewiniens de la recherche-action, comme projet social, s’inscrivent sociohistoriquement dans le contexte de la grande guerre de 1939-1945. La visée d’un fonctionnement démocratique dans les groupes et les organisations est à replacer dans le cadre plus large d’un projet sociopolitique : développer une société plus démocratique pour contrer la montée des dictateurs ou régimes fascistes, pour contrer aussi la domination raciste ou ethnocentrique. Le point d’appui pour Lewin est le changement normatif-rééducatif, celui qui introduit un mode d’action démocratique fondée sur des valeurs d’égalité, de développement de tous, de lutte contre les discriminations et le racisme. Et le groupe restreint est un premier “laboratoire” pour favoriser l’émergence d’un tel leadership. Rééduquer, car ces valeurs, inscrites dans le cadre constitutionnel des États-Unis, sont à développer effectivement – dans la vie sociale, les groupes, les organisations, le gouvernement : c’est une urgence pour prévenir les tendances à toute montée fascisante, présente déjà dans des attitudes discriminatoires et racistes » (p. 532-533).
Barbier, R. (1996). La recherche action (Poche ethno-sociologie 3). Paris: Anthropos diff. Économica.
Catroux, M. (2002). Introduction à la recherche-action : Modalités d’une démarche théorique centrée sur la pratique. Recherche Et Pratiques Pédagogiques En Langues De Spécialité, 8-20.
Liu, M. (1997). Fondements et pratiques de la recherche-action (Logiques sociales). Paris Montréal (Québec): L'Harmattan.